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Le développement de ce qu'on appelle la civilisation moderne tend à donner aux forces matérielles un avantage croissant sur les forces morales.Si l'on se fie à elle pour réaliser la justice sociale ou radoucissement des mœurs, on se prépare des déceptions considérables ! Cette civilisation n'égalise ni les fortunes, ni les conditions : sa complexité ne cesse, au contraire, de creuser des différences entre les hommes. Elle n'affranchit pas : l'autorité de la science et de l'industrie tendrait plutôt à établir de nouvelles races d'esclaves. Enfin, loin d'apaiser et de concilier, ses nécessités sont d'une telle rigueur qu'elles semblent couper à angle droit, détruire ou renier tout ce qui est humain.Ni le jeu de l'offre et de la demande qui constitua le capitalisme, ni le principe des nationalités qui a créé notre paix armée, ni la guerre de classes, par laquelle les masses insurgées répondent au capitalisme affameur, ne sauraient répandre dans le monde moderne une atmosphère de bergerie' Nous en serions plutôt repoussés chez les loups insociaux et contraints de vivre, par catégories de classes ou de races, selon la coutume des loups. Le vernis héréditaire des mœurs s'écaille peu à peu, les survivances des traditions générales s'effacent et les statistiques de la criminalité montrent ce qui en découle inévitablement.Les différences de classes sont plus marquées qu'il y a un demi-siècle, l'arrogance et le despotisme des autorités seraient plutôt en voie de grandir. Ce qui manque, c'est, dans les esprits dirigeants, cette lumière qui est le signe de leur droit de conduire. Les chefs subsistent et leur pouvoir augmente, mais ce sont des chefs barbares livrés aux impulsions de la passion ou de l'intérêt. Ils commandent, ils conduisent, car leurs troupes le veulent, mais ils commandent mal et conduisent de travers, faute d'avoir appris.Ils sont donc, eux aussi, plus encore que ces masses prolétariennes pour lesquelles on simule un intérêt si vif, ils sont de véritables déshérités.Le trésor intellectuel et moral dont il leur appartenait de recueillir l'héritage a été dédaigné et finalement s'est perdu. Ainsi en disposa l'esprit de la démocratie libérale qui a désorganisé le pays par en haut ; empruntant la voix du progrès, feignant de posséder les promesses du lendemain, il a fait abandonner le seul instrument de progrès, qui est la tradition, et la seule semence de l'avenir, qui est le passé.
Un essai d'une actualité incroyable. Ni le temps, ni les polémiques n'y peuvent quoi que ce soit.
Juste au milieu de l'autre guerre, plus d'un quart de siècle écoulé !, un de mes amis fit un livre, aujourd'hui introuvable, où, voulant peindre l'atmosphère morale des trente années précédentes, il les résuma dans ce titre : Quand les Français ne s'aimaient pas.Mais ce qu'il voulait exprimer était tellement loin de l'esprit de tous ses lecteurs, que ceux-ci firent aussitôt un contresens unanime ; ils se figurèrent qu'il allait leur parler du temps où les Français ne s'aimaient pas entre eux et, divisés les uns des autres, luttaient les uns contre les autres...Certes, l'union nécessaire manque, beaucoup et trop, en France. C'est pourquoi son image y est toujours comprise et désirée, appelée et même fêtée. On aime à répandre des plaintes tout à fait légitimes sur les outrances des partis, leurs passions et leurs injustices ; on élève de grands soupirs vers la plus urgente et la plus légitime des concordes. Pieux désirs ! Valant ce qu'ils valent, ils sont courants.En revanche, notre pays ne donne pas grande attention à ce dont parlait le livre. Nous passons, sans y prendre garde, sur la plus triste et la plus fâcheuse de nos habitudes d'alors, d'aujourd'hui, de toujours : les Français ne s'aiment pas eux-mêmes, comme Français. Ils ont peu d'affection et peu d'estime pour la nature de leur peuple, pour ses traits distinctifs et pour sa figure constante. Et s'ils y pensent, c'est pour regretter, pour déplorer ou même accuser le tempérament national : « Nos Français ! Vous les connaissez ! Tous les mêmes ! » Et en avant, notre légèreté, notre versatilité, notre manque de sérieux, de patience ou de profondeur ou encore de force...Vieille maladie qui fut grave. On l'avait crue guérie par l'exemple extraordinaire des quatre années consécutives tenues dans les tranchées, au long d'héroïques batailles. Mais à peine nos provinces frontières étaient-elles dégagées, le même mauvais refrain a recommencé de courir.De hautes autorités morales ont bien raison de prêcher, comme elles en ont le devoir, aux Français, nés Gaulois, plus de charité réciproque, moins d'acrimonie dans leurs rapports sociaux, un goût moins vif de la querelle et de la dissension, Mais quoi ! c'est la nature humaine, l'homme n'a pas fini d'être pour l'homme un loup. Ce qui est redevenu l'indice commun du Français, c'est un étalage de modestie excessive et même de véritable humilité toutes les fois qu'il s'agit de la valeur et du rang de notre nation. Le Français moderne est toujours prêt à s'effacer devant la première nation venue, en s'inclinant, en lui disant : Après vous, après vous, s'il vous plaît... Beaucoup comptent prendre un
À l'époque où parurent la plupart des études littéraires classiques de ce volume, on discutait beaucoup de deux ou trois idées directrices. Aujourd'hui, on les respire comme dans l'air du temps.Nos débats acharnés, nos copieuses analyses, nos exécutions rigoureuses ont-elles eu quelque part au changement du goût public ? Pour le dire, il faudrait commencer par savoir si la critique peut aider aux apparitions de la vie.De 1885 à 1900 les plus belles étoiles brillaient sur notre ciel, plusieurs levées depuis longtemps, d'autres montant sur l'horizon. Ce n'est certes pas le bien ou le mal dit d'Anatole France, de Maurice Barrès, de Moréas, de Paul Bourget, de Frédéric Mistral ou de Théodore Aubanel qui pouvait ajouter de la flamme à leur flamme vive. Seulement, tout le monde ne leur accordant pas l'attention, l'admiration ou la piété dues, il n'était peut-être pas inutile de conseiller au public de lever le nez dans leur direction.Peut-être aussi que ces beaux chœurs supra-terrestres n'ont une conscience expresse ni de tous leurs accords (qui ne se voient bien que d'en bas) ni de tout leur pouvoir sur la végétation de nos humbles parterres ; les conseils ou les prières de la critique peuvent servir à éclairer et à débrouiller tout cela.Enfin, bien des nuées et des fausses lumières voguaient de conserve avec ces beaux astres pour tenter d'en capter, d'en intercepter la splendeur : troisième utilité d'une critique militante et justicière. Elle chasse l'écornifleur et l'importun ; en servant les meilleurs, elle fait déguerpir les moins bons.S'il est prématuré d'attribuer la qualité d'une renaissance classique à l'effort de ces dernières années, elles ont vu la fuite éperdue de bien des Barbares.Cela aussi servait.
Trait singulier de l'intelligence et du sentiment de ce pays-ci : une conscience française se réveille dans les moments de colère et de deuil. Oui, certes, nos diversités sont inhérentes à la forme de notre sol et de notre esprit, mais il faut bien aussi qu'il y ait « une » France. Oui, notre unité fut un chef-d'œuvre d'art historique, mais cette unité-là dut avoir ses raisons, elle dut correspondre à des réalités tangibles, pour avoir résisté à tant de destructeurs ! Une civilisation, un esprit, une langue, un goût, une société, une politesse, des mœurs, ces expressions d'intérêts profonds ou sublimes, ces hauts produits de notre combinaison séculaire ne peuvent donc se renoncer aussi facilement que l'espèrent nos ennemis. Menacés, ils se développent et la sensibilité patriote qui se manifeste par la force de la douleur peut changer, par sa réaction, bien des choses à notre destin.Mais, surtout, ne supposons pas qu'elle doive jamais devenir assez claire pour commander et régner seule. Le sort de l'Assemblée de 1871 avertit que nous ne sommes pas un pays d'opinion gouvernante. Pure, droite, patriotique, l'opinion française livrée à ses éléments propres est vouée aux déchirements. Mais, de le bien sentir, peut venir le salut. Et, à vrai dire, il vient. Ce que peut créer, ce que crée déjà la renaissance d'un véritable esprit public c'est la vue précise, la pensée clairvoyante de son centre et de ses limites. On revient à cette pensée avec netteté et courage. Comme dans le discours de Ronsard sur les misères de ce temps, on refuse d'admettre que nos longs efforts historiques soient avortés, que la fin de la France approche et que tant de héros et de princes, de citoyens et de soldats aient travaillé, peiné, combattu inutilement. La nouvelle génération, surtout, s'est révoltée contre la résignation à la mort ; elle ouvre de grands yeux sur les enchaînements de causes et d'effets qui ont amené nos malheurs, et la leçon comprise semble devoir être appliquée. Au surplus, la génération antérieure défend avec mollesse l'erreur dont elle fut bercée et, quand elle s'entend âprement reprocher d'avoir élevé sur le trône ou scellé sur l'autel la statue de la Division, l'idée de la Querelle, la notion du Parti, elle cesse de se vanter, comme jadis, d'avoir fait un pas mémorable sur la barbarie des vieux âges : elle tombe d'accord que l'idole était un faux dieu et que les Maîtres avaient raison d'en attendre bien des malheurs. La seule excuse offerte consiste à alléguer que le mal est fait sans remède.
Passons vite. Ces âges n'intéressent que l'historien. Ce que nous cherchons dans la Grèce, c'est ce qui lui donne son rang sur le monde antique et moderne, ce par quoi elle se distingue de tout le reste, ce qui fait qu'elle est elle et non la barbarie. C'est l'âge de la grécité proprement dite, de l'hellénisme pur qui dura deux ou trois cents ans environ pour la statuaire. On en reconnaît le début au vie siècle, lorsque en Attique et dans les îles, l'art se transforme, s'assouplit et se délivre des rigides modèles venus d'Orient. Appuyés sur la tradition toujours embellie et accrue, fiers de leur force, les artistes recherchent alors dans la nature des modèles à surpasser. La période, si elle fut exquise, fut courte ; mais tout homme est forcé d'y lever les yeux quand il se soucie de son ordre intellectuel.Épuisée de guerres intérieures, la Grèce éteint sa flamme quand l'Asie d'Alexandre communique à ses conquérants, non le type d'un nouvel art, mais un état d'inquiétude, de fièvre et de mollesse qu'entretinrent les religions de l'Orient. Adonis et Mithra décomposèrent les premiers le monde ancien. Qu'on ne croie pas que les artistes grecs aient hellénisé ces conceptions ennemies ; ils n'y réussirent jamais. Mais ils furent certainement barbarisés par elles.Alors, cette lumière de l'imagination et de la pensée qui ne dessèche ni la passion ni la verve, mais commande à l'une et à l'autre en leur imprimant une immortelle vivacité, ce caractère de raison et de puissance qui est le propre de la Grèce, disparaissent ou s'atténuent dans les œuvres des Grecs, et, ces œuvres n'étant plus grecques qu'à demi, on peut les négliger comme on le fait des copies comparées à l'original.
L'originalité est un don bien rare chez les poètes ; cette faculté d'invention et de création ne réside qu'en un petit nombre d'esprits, troupeau d'élite, que la nature répand çà et là de loin en loin comme des feux pour guider les pas chancelants de l'humanité. Mais quoique dépourvu de cette étincelle divine, il n'est pas cependant impossible de se faire une place honorable dans les lettres ou dans les arts. Une imitation judicieuse, un goût pur, un vers élégant peuvent compenser les avantages que seul possède le génie. On voit alors ces hommes remarquables à tant de titres se choisir parmi les étoiles qui brillent dans leur firmament, un guide, un ami pour appuyer leurs pas incertains par leurs propres forces. C'est ainsi du moins qu'agit Boileau, l'un des plus sages écrivains du XVIIe siècle. Ce fut Horace qu'il prit pour soutien dans sa carrière ; c'est sur lui qu'il fixa ses regards et modela ses actions. Toute son ambition fut d'approcher de ce grand maître.La chose n'était pas facile : approcher Horace, même de loin, c'est une entreprise hardie - j'allais dire téméraire. Quel Protée aux mille formes que ce poète tour à tour badin et sublime, rieur et mélancolique, sceptique et croyant ! Quelle prodigieuse mobilité dans cet esprit qui unit la finesse et la pureté des formes à la profondeur et à l'étendue des idées ! Il sourit au printemps près d'éclore, et l'acclame de ses joyeux refrains ; il raille l'inquiétude des mortels, et soupire un moment après sur l'inconstance de leur fortune. Il se joue aujourd'hui sur le mode anacréontique des grands noms du peuple-roi ; vous le verrez demain saisir la lyre de Pindare et faire vibrer de ses plus fins accents la corde patriotique. Il a jeté son bouclier à Philippes, il encense Auguste avec la naïveté et l'étourderie d'un vrai poète ; cela ne l'empêchera pas de pleurer sur Brutus, et, le verre en main, de célébrer la vertu de Caton. La nature s'anime sous son léger pinceau. Il revêt des plus brillantes couleurs les sujets les plus arides et ses vers semblent tourbillonner devant nous comme un chœur de Bacchantes enivrées dans le silence de la nuit. Délire orphique, boutades de moraliste, orgies épicuriennes, rien ne lui est étranger : il transforme en or tous les métaux qu'il touche, et il les touche tous. C'est une manière de La Fontaine, grand enfant simple et crédule le matin, moqueur et libertin le soir, également susceptible d'enthousiasme et de découragement, passant d'une émotion à l'autre sans transition avec une incroyable célérité, vivant et mourant en poète, c'est à dire en rêveur, sur la tombe duquel on pourrait graver les vers de Régnier :Je vécus sans nul pensementMe laissant aller doucementÀ la bonne loi naturelle.
L'Action française a le devoir de répéter qu'elle n'a jamais fait appel à un parti. Vous sentez-vous Français ? Traitons des affaires de France au point de vue des seuls intérêts du pays. Voilà le seul langage que nous ayons tenu. Ce sera notre langage de tous les jours. Il ne s'agit pas de mettre en avant nos préférences personnelles, nos goûts ou nos dégoûts, nos penchants ou nos volontés. Nous prenons ce qu'il y a de commun entre nous - la patrie, la race historique - et nous demandons au lecteur de se placer au même point de vue fraternel.Ni les rangs sociaux, ni la nuance politique ne nous importent. La vérité se doit d'avancer dans tous les milieux. Nous savons qu'il y a partout du patriotisme et que la raison peut se faire entendre partout. Quelles que soient les différences des mœurs ou des idées, il existe des principes supérieurs et des communautés de sentiment plus profondes : là disparaît l'idée de la lutte des classes ou de la lutte des partis. Toutes nos conclusions politiques dérivent de ce principe fondamental : il faut que notre France vive, et de cette question posée non point par nous mais par les circonstances : comment la préserver de toutes ces forces de mort ?Assurément, comme nos camarades de la presse nationaliste et conservatrice, nous mènerons de notre mieux la guerre à l'anarchie. Si tout patriote français nous est ami, si toute idée sérieuse nous paraît digne d'examen et de discussion, nous ne ferons aucun quartier aux idées, aux hommes, aux partis qui conspirent contre l'intérêt du pays. Vive l'unité nationale ! Périssent donc tous les éléments diviseurs ! Nous n'épargnerons ni cette anarchie parlementaire qui annule le pouvoir en le divisant, ni l'anarchie économique dont l'ouvrier français est la plus cruelle victime, ni l'anarchie bourgeoise qui se dit libérale et qui cause plus de malheurs que les bombes des libertaires.Nous combattrons, comme nous le fîmes toujours, cette anarchie cosmopolite qui remet à des étrangers de naissance ou de cœur le gouvernement de la France, l'anarchie universitaire qui confie l'éducation des jeunes français à des maîtres barbares, les uns juifs, d'autres protestants, lesquels, avant d'enseigner parmi nous, devraient eux-mêmes se polir au contact de la civilisation, de l'esprit et du goût de la France. Nous montrerons dans la clarté qui suffit à leur faire honte, les plaies d'anarchie domestique, tuant l'autorité des pères ou l'union des époux, et, la pire de toutes, l'anarchie religieuse acharnée à dissoudre l'organisation catholique ou tentant de refaire contre l'Église une unité morale en la fondant sur des Nuées.Allons au fond du vrai : parce que, au fond, ce qui nous divise le plus est le régime républicain et parce que cet élément diviseur par excellence est aussi celui qui organise, qui règle et qui éternise l'exploitation
Les partis qui ont le plus violemment combattu la politique de Pie X recommencent contre Benoît XV. On verra ailleurs ce que cette hostilité éternelle à la papauté couvre d'hostilité foncière au bien moral et matériel du genre humain ; ces violences systématiques exercées contre le seul îlot de pure humanité que puisse montrer la planète nous arrivent aujourd'hui couvertes du masque du patriotisme blessé. On voit facilement ce qu'il faut en penser, du point de vue de l'Homme. Leur prétexte hypocrite ne doit pas moins nous indigner comme Français.À supposer en effet qu'il se fût élevé un malentendu entre le centre romain et les Français catholiques, l'épiscopat a fait spontanément, avec une promptitude remarquable, tout ce qu'il fallait pour donner leur véritable signification à des termes qui n'étaient pas le moins du monde douteux. Successivement les félicitations du cardinal de Cabrières au cardinal Mercier, l'adresse des évêques de la province de Lyon à la tête de desquels marchait le cardinal Sevin, le document signé par tous les cardinaux français et finalement la traduction donnée par le cardinal Amette, en termes si clairs et si forts, de la pensée pontificale ont fixé l'opinion si elle eût été tentée de flotter. Ce flottement ne s'est pas produit. Le pays a compris. Supposons qu'il n'ait pas compris. Quel était le devoir des esprits politiques ? Assurément, s'interposer, unir leurs efforts à ceux de l'épiscopat et, par-dessus la divergence des sentiments ou des doctrines, s'employer vers le même but, qui était d'éviter au peuple catholique français tout sujet de trouble, comme aussi au Saint-Siège, du côté de la France, de nouveaux soucis. Il ne faut pas, disent les bons médecins, ébranler ce qui est tranquille : quieta non movere. À plus forte raison, faut-il se garder d'élever la température et le trouble dans ce qui s'agite avec fièvre. Nous avons, en France, à porter le poids d'une grande guerre extérieure. Ce n'est pas l'heure d'une lutte intérieure ni d'une guerre religieuse.
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